Une série de guet-apens mortels et d’escroqueries sophistiquées secoue la justice à Grenoble : douze jeunes, au profil étonnamment « normal », risquent aujourd’hui d’être jugés pour des faits d’une violence extrême.
Le site de messagerie Coco.gg, longtemps considéré comme un simple outil de discussion anonyme, a servi en 2022 de théâtre à une série de traquenards d’une violence rare. Derrière les pseudos enjôleurs se cachaient des adolescents et jeunes adultes, qui, selon le parquet de Grenoble, auraient organisé des extorsions sanglantes ayant mené à la mort d’un homme. Le même groupe est également soupçonné d’avoir orchestré une vaste campagne d’escroquerie par SMS, volant près de 60 000 euros à des dizaines de victimes. Un double visage glaçant qui interroge autant qu’il choque.
En novembre 2022, un homme d’une quarantaine d’années, sous curatelle, est retrouvé grièvement blessé sur un parking isolé de Gières, en Isère. Il décède quelques jours plus tard. Ce fait divers tragique devient le point de départ d’une enquête tentaculaire qui va révéler un système de violences et de fraudes d’une rare organisation, orchestré par une poignée de jeunes sans antécédents judiciaires, souvent issus de milieux favorisés.
« Ils créaient un piège parfait » : le piège numérique de Coco.gg
L’enquête de la Sûreté départementale de l’Isère remonte alors la piste de plusieurs autres agressions similaires. En tout, six victimes sont répertoriées pour l’année 2022. Les faits suivent toujours le même schéma. Des jeunes hommes, dissimulés derrière des profils féminins fictifs tels que « Marie » ou « Juliette », appâtaient leurs proies via le site Coco.gg. Un rendez-vous était donné sur un parking isolé. Là, au lieu de la rencontre espérée, les victimes se retrouvaient brutalement prises à partie par plusieurs individus, rouées de coups à l’aide de poings américains, de tasers et parfois même de crosses de pistolet.
Les motivations invoquées par les agresseurs lors de leurs auditions laissent la justice perplexe. Ils prétendaient vouloir « piéger des pédophiles« , dans une sorte de croisade autoproclamée. On pouvait d’ailleurs les croiser sur des espaces Telegram qui diffusaient identités de présumés pédocriminels, vidéos et recrutements. ZATAZ avait d’ailleurs pu vous alerter sur ces dérives qui attiraient un grand nombre de jeune en mal de reconnaissance, ou de violence gratuite. Je vous expliquait, entre autre, comment le fils d’un artiste français trés connu avait été « balancé » par nune des membres de cette malveillante communauté. Mais les faits montrent surtout une logique d’extorsion, pour des gains matériels souvent dérisoires : téléphones portables, portefeuilles, cartes bancaires.
« Un système à tiroirs » selon les enquêteurs : des équipes tournantes, une organisation en réseau
Le parquet de Grenoble parle d’ »une équipe à tiroirs » : à chaque agression, les auteurs changent, mais le mode opératoire reste identique. Un système agile et difficile à tracer, où chacun joue un rôle précis : leurre, surveillance, agression, récupération du butin. Rapidement, la justice met au jour un groupe de douze personnes, toutes jeunes, âgées de 17 à 21 ans. Quatre d’entre elles sont interpellées dès avril 2023. Parmi les suspects, une jeune femme est accusée de complicité.
Mais ce n’est qu’un pan de l’affaire. Car derrière la violence physique, se cache une autre forme de criminalité, tout aussi redoutable : l’escroquerie numérique de masse.
Derrière la brutalité des guet-apens, les enquêteurs découvrent un réseau structuré d’escroqueries numériques, ayant généré près de 60 000 euros de butin.
Selon le réquisitoire du parquet consulté par FranceInfo, certains des mis en cause auraient mis à profit leurs « compétences informatiques » pour lancer une opération de phishing à grande échelle. Environ 500 000 SMS frauduleux auraient été envoyés, usurpant l’identité de banques ou d’administrations pour soutirer des données personnelles et bancaires à des particuliers. Les jeunes escrocs auraient réussi à voler près de 60 000 euros, soit environ 65 000 dollars, en quelques mois, en créant de fausses interfaces de connexion imitant celles de véritables institutions financières.
Une jeunesse dorée et dangereuse : le double visage des accusés
L’un des éléments les plus déstabilisants du dossier réside dans le profil des prévenus. Tous sont issus de milieux socialement favorisés. Leurs parents sont enseignants, cadres dans la fonction publique, médecins ou entrepreneurs. Aucun n’a de casier judiciaire, la plupart sont étudiants brillants en école de commerce ou dans des filières sélectives. Lors de leur garde à vue, tous reconnaissent les faits et coopèrent avec les enquêteurs. Je vous ai d’ailleurs proposé, le mois dernier, l’interview d’une jeune femme d’une vingtaine d’année qui a débuté la fraude à la carte bancaire à l’âge de 16 ans et qui nous explique « pourquoi » ? Ou encore de ce créateur d’une solution de phishing vocal via l’Intelligence Artificielle.
Mais cette façade lisse dissimule une violence intérieure préoccupante. Les expertises psychiatriques menées dans le cadre de l’instruction soulignent une immaturité inquiétante, un détachement émotionnel vis-à-vis de la souffrance infligée, et, pour certains, une tendance marquée à l’agressivité. Deux d’entre eux sont suspectés d’avoir porté les coups mortels à la victime de novembre 2022. C’est d’ailleurs ce type de jeunes qui m’a incité à sortir un album de musique 100% cybersécurité. L’un des titres est, ci-dessous, « Déconne pas, étonne moi », 1er single tiré de l’album « 92829 ».
Derrière des profils scolaires exemplaires, les psychiatres décrivent des personnalités immatures, impulsives, et dangereuses.
La justice s’interroge aujourd’hui sur le basculement de ces jeunes dans la criminalité. Comment de futurs cadres ou ingénieurs en viennent-ils à orchestrer des actes aussi violents et prémédités ? Leur jeunesse, leur absence de passé judiciaire, voire leur coopération durant l’enquête, ne suffisent pas à balayer la gravité des faits. Pour le parquet de Grenoble, la qualification des crimes est claire : extorsion aggravée, homicide volontaire, escroquerie en bande organisée.
La décision d’un procès attendu avec tension
Vendredi 16 mai, le parquet de Grenoble a requis le renvoi devant la cour d’assises des mineurs pour les douze mis en cause, une juridiction qui juge des faits criminels commis par des adolescents, même s’ils ont aujourd’hui pour la plupart atteint la majorité. Parallèlement, quatre suspects devraient également comparaître devant le tribunal correctionnel pour les faits d’escroquerie, et un cinquième devant le tribunal pour enfants. La juge d’instruction en charge du dossier doit désormais décider si ces renvois seront effectivement prononcés.
L’affaire du site Coco.gg a, depuis, marqué un tournant dans la perception des risques liés aux plateformes anonymes. Le site en question a été fermé par la justice, et de nombreuses voix s’élèvent pour réclamer une régulation plus stricte de ces espaces numériques souvent hors de contrôle. Des victimes dénoncent une « zone de non-droit », propice aux prédateurs comme aux justiciers autoproclamés. Cette zone grise entre intimité et danger, entre drague virtuelle et guet-apens mortel, interroge notre rapport aux nouvelles technologies, et notre capacité à en maîtriser les dérives.
À l’heure où la cybercriminalité se professionnalise et touche des publics toujours plus jeunes, cette affaire révèle une facette inquiétante de notre époque : une jeunesse ultra-connectée, capable du meilleur comme du pire, oscillant entre ambition, cynisme et brutalité. La justice dira si ces jeunes devront répondre de leurs actes devant une cour d’assises, mais le choc de cette affaire laissera, lui, une empreinte durable dans les mémoires. En attendant, ce n’est pas le dernier rapport d’Europol qui va rassurer !
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