On trouve de tout au CES. Des concepts de miroirs connectés non fonctionnels et sans feuille de route, des fauteuils massants ressemblant à des Transformers, des brosses à dents connectées (oui, toujours en 2025)… Et puis parfois, dans un stand de 2 mètres carrés perdu au milieu de l’espace pour start-up Eurekapark, on trouve une invention révolutionnaire qui peut rendre la vue aux malvoyants.
C’est le cas de Soliddd, petite société américaine qui a développé un dispositif proche des casques de réalité mixte, mais appliqué aux personnes souffrant de maladies de la rétine, dont notamment la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Il se nomme Soliddd Vision.
Des lentilles projettent l’image sur 64 zones de la rétine
Des lentilles projettent l’image sur 64 zones de la rétine
L’appareil utilise deux caméras qui capturent ce que regarde l’utilisateur et le retransmettent sur ses écrans. Des lentilles brevetées sont façonnées en une grille qui renvoie 64 images par oeil. Chaque image de la grille couvre une partie de la scène, avec une légère différence d’angle de vue entre deux images côte à côte. Celles-ci sont projetées sur différentes zones de la rétine, y compris aux extrêmités qui n’ont que peu de photorécepteurs.
Le cerveau recombine ensuite toutes ces images pour n’en former qu’une seule. Cette approche a deux intérêts : elle permet tout d’abord une vraie stéréopsie (vision en trois dimensions) même avec un seul oeil, et surtout elle peut contourner les zones endommagées de la rétine en se servant des zones annexes. Cela permet de pallier les tâches noires et déformations qui sont typiques des maladies rétiniennes.
« L’image combinée montre le champ visuel au complet même si une partie de la vision centrale est obstruée ou endommagée par une dégénérescence maculaire, et ce avec une bonne résolution et une bonne acuité visuelle »commente Neal Weinstock, CEO et cofondateur de Soliddd.
Interrogé par nos soins sur la taille du champ de vision procuré par les lentilles, il répond : « Le champ de vision initial est gigantesque comparé aux autres systèmes. Si vous le positionnez là où vous portez normalement vos lunettes, il est largement supérieur à 90°, et s’il est plus loin de vos yeux vous voyez toujours l’image, elle est juste plus petite. La luminosité est aussi excellente car les écrans sont derrières des lentilles qui font moins de 3 mm d’épaisseur.
Une avancée majeure en 2023
Une avancée majeure en 2023
Soliddd a été fondée par des ingénieurs il y a 15 ans et s’est spécialisée dans un premier temps dans l’affichage 3D sans lunettes. Avec le déclin du marché de la 3D, Neal Weinstock s’est demandé comment il pourrait appliquer sa technologie à la santé oculaire. « Mon père a perdu la vue à la suite d’un glaucome et je pensais que nous pourrions peut-être contribuer à ce secteur. Et je peux vous dire le jour exact où j’ai finalement compris comment cela pourrait fonctionner scientifiquement : le 25 juin 2023. J’étais dans un meeting avec des investisseurs et j’en suis soundainement parti en courant pour aller déposer un nouveau brevet. » Soliddd a déjà obtenu la plupart de ses brevets déposés aux Etats-Unis et en a aussi plusieurs en Europe.
Une version bêta de l’appareil était disponible sur le stand mais ne fonctionnait pas lors de notre visite (les aléas de ce genre de démonstrations). Nous avons néanmoins pu tester une version statique et constater que la technologie fonctionne. « Les lentilles et la partie logicielle sont là où la magie s’opère. Nous avons une belle solution mathématique pour coordonner les multiples images et obtenir un point de vue cohérent, cela nécessite une grande précision pour que le cerveau puisse construire la stéréopsie et c’est la lentille qui le permet. »
Une vraie caution scientifique
Une vraie caution scientifique
Mais Soliddd Vision n’est pas qu’un produit d’ingénieur, il est développé avec des médecins et a déjà été testé sur des groupes de patients. « Il est très important pour nous d’avoir une crédibilité scientifique totale, » déclare Neal Weinstock. « Notre responsable de la recherche est le docteur William Seiple, Chief Research Officer de la clinique Lighthouse Guild à New York, professeur-chercheur à NYU, professeur invité à l’Université Pierre-et-Marie-Curie et professeur auxiliaire à l’Institut de la Vision à Paris. »
« Nous avons travaillé avec lui et avec un certain nombre d’autres ophtalmologues aux Etats-Unis, qui ont rigoureusement testé notre solution auprès de leurs patients souffrant de dégénérescence maculaire »reprend le CEO. « Lors de ces tests, il y a eu quelques personnes que nous n’avons pas pu aider car ils avaient vraiment une perte de la vision très importante, mais la plupart des gens pouvaient lire. Nous avons mesuré leur vitesse de lecture et ils lisaient 10 fois plus vite, et beaucoup d’entre eux qui ne peuvent pas lire du tout sans notre appareil ont pu le faire avec lui. » A noter que Soliddd a aussi testé un nombre limités de cas avec d’autres maladies comme le glaucome ou la névrite optique.
Vers une personnalisation en fonction de la rétine de chaque patient
Vers une personnalisation en fonction de la rétine de chaque patient
Questionné sur la nécessité de personnaliser chaque appareil en fonction de l’utilisateur et des zones endommagées de sa rétine, le CEO nous apporte une réponse surprenante. « Ce que nous faisons, c’est que nous projetons des rayons parallèles de lumière blanche dans l’oeil, et à l’avenir nous serons capables de nous en servir pour mesurer avec précision la position des cicatrices et autres dégâts dans l’oeil pour ajuster les images autour d’eux. Nous aurons probablement intégré ces capacités d’ici la fin de l’année.
« Mais même avec la version actuelle de notre logiciel, sans ce niveau de personnalisation, l’appareil est déjà capable d’aider énormément de personnes. » A noter que l’appareil s’ajuste aussi automatiquement à la distance entre les deux yeux (écart interpupillaire) et à la position des yeux, même dans sa forme actuelle.
La prise est charge de la correction de la vue n’est pas un problème non plus. « L’image est toujours nette, peu importe si vous êtes myope ou avez des problèmes d’accommodation comme la presbytierépond Neal Weinstock. L’astigmatisme est une autre affaire, et elle sera prise en charge à l’avenir mais il nous faudra quelques années pour y parvenir. Nous avons déjà un brevet couvrant ce développement. »
Sortie limitée aux Etats-Unis dès cet été
Sortie limitée aux Etats-Unis dès cet été
Une sortie en quantités limitées (quelques milliers d’unités) aura lieu au mois de juin aux Etats-Unis. « L’Europe est évidemment un marché très important pour nous, mais la commercialisation débutera aux Etats-Unis car c’est là que nous sommes basés. » La version commerciale qui doit sortir en juin sera plus fine et légère, même s’il ne faut pas s’attendre à ce qu’elle soit aussi légère qu’une simple paire de lunettes de vue. Le prix n’a pas encore été arrêté, ni même le modèle économique exacte.
Soliddd envisage un système de location dans un premier temps, car il faudra dans tous les cas un support logiciel. « Nous travaillerons probablement avec des ophtalmologues pour être mis en relation avec des patients qui ont besoin de l’appareil. » Des ventes directes au consommateur pourraient avoir lieu dans un second temps. Une chose est sure : il coûtera cher dans un premier temps. « Nous espérons que la production de masse nous permettra de le proposer à un prix plus abordable à l’avenir. »
Les appareils d’aide optique classiques sont généralement de très mauvaise qualité tout en étant hors de prix. Il est souvent préférable d’utiliser un smartphone avec une application spécialisée. C’est pourquoi Soliddd Vision nous a tant enthousiasmé : c’est un dispositif réellement innovant, et qui est tout simplement incomparable avec l’existant.