Les pays côtiers d’Afrique sont confrontés à diverses menaces maritimes. Il s’agit notamment du trafic ; la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN) ; l’immigration illégale; et le piratage. Mais les pays manquent souvent de ressources pour surveiller et protéger leurs domaines maritimes.
La tâche à laquelle ces pays sont confrontés est énorme. Si on les additionne, les pays côtiers d’Afrique représentent plus de 13 millions de kilomètres carrés d’océan, bien au-delà de ce qu’ils peuvent patrouiller avec des navires et des avions traditionnels. Les pays d’Afrique subsaharienne comptent au total 420 navires classés comme « navires de combat de surface », c’est-à-dire des navires conçus pour la guerre en eau libre. Il s’agit d’une augmentation significative depuis 2008, où ce total était de 158, selon une base de données produite par The Military Balance. Mais les experts affirment que cette croissance a été tirée par une poignée de pays, et que la plupart ont encore du mal à surveiller leurs eaux.
Dans ce contexte, les pays recherchent des alternatives rentables pour étendre leur portée. Plusieurs États du Golfe de Guinée, dont le Nigeria et la Côte d’Ivoire, se sont tournés vers les drones pour améliorer la sécurité maritime, un choix qui leur permet de combler un déficit capacitaire.
Le prix relativement abordable des systèmes de drones tactiques peut permettre de réaliser des économies par rapport au coût élevé des missions en mer prolongées qui nécessitent des navires et un grand nombre de personnels. Les plateformes de drones équipées d’une avionique avancée offrent une flexibilité opérationnelle grâce à leurs charges utiles, qui peuvent embarquer divers capteurs tels que des caméras infrarouges diurnes et nocturnes et des radars. Leur légèreté les rend faciles à transporter et adaptables à de nombreuses conditions de mission. Mais les drones ne sont pas une panacée. Ils présentent des faiblesses, notamment une portée limitée, une vitesse relativement lente et le fait qu’ils volent à basse altitude, ce qui augmente leur vulnérabilité aux armes anti-aériennes. Malgré leurs limites, ils deviennent rapidement des outils indispensables dans le domaine de la collecte et de la surveillance du renseignement.
Un outil qui montre sa valeur
Les militaires ont utilisé des drones datant de 1937, lorsque les États-Unis ont développé le premier véhicule aérien sans pilote (UAV) radiocommandé, connu sous le nom de Curtiss N2C-2 Fledgling, et l’ont utilisé pour l’entraînement sur cible. Le Conseil sud-africain pour la recherche scientifique et industrielle a développé les premiers drones de surveillance utilisés en Afrique. Ils ont survolé ce qui était alors la Rhodésie en 1978.
Aujourd’hui, les drones représentent un atout opérationnel essentiel et polyvalent pour la collecte de renseignements. Les drones tactiques comblent les lacunes en matière de capacités telles que la persistance, l’autonomie et la compatibilité avec le système d’armes embarqué, selon un article de 2010 intitulé « Les drones tactiques à voilure tournante dans les engagements contemporains », publié par la Fondation pour la recherche contemporaine. Le suivi du trafic maritime sur une zone peut se faire en un temps record grâce à l’endurance considérable des drones. Les drones peuvent également embarquer des systèmes d’identification automatique, devenus l’un des principaux outils de connaissance du domaine maritime. Ces outils permettent d’identifier et de classer les échos radar non reconnus, ce qui fournit une image en temps réel plus complète aux professionnels travaillant dans les centres d’opérations maritimes.
Les pirates ont tendance à opérer loin des côtes. Une force navale ne peut à elle seule couvrir ces zones. L’utilisation d’un drone tactique doté de plusieurs heures d’autonomie permettra d’élargir les zones surveillées. Par exemple, l’utilisation de drones aériens par le Premier-Maître L’Her de la Marine nationale a été essentielle pour localiser le pétrolier Monjasa Reformer, attaqué le 25 mars 2023. De même, les drones sont intégrés dans le système national de surveillance maritime et maritime. frontières terrestres.
Les drones représentent un multiplicateur de force pour soutenir les forces de l’ordre en mer et dissuader la criminalité. Les opérations de visite, d’arraisonnement, de perquisition et de saisie (VBSS) constituent l’une des principales missions exercées par les navires de guerre dans le cadre de la lutte contre la criminalité maritime. Associés à l’utilisation d’autres moyens navals, les drones peuvent augmenter considérablement les capacités individuelles des navires lors des opérations VBSS, selon un article rédigé en 2019 par le contre-amiral de la Marine française Benoit de Guibert. Les drones permettent d’avoir une vision claire et immédiate de l’arraisonnement, d’en suivre le déroulement, et d’évaluer les risques lors de ces opérations.
En cas de contact avec des pirates ou de suivi d’un navire piraté, le drone permet une surveillance continue. Cette possibilité de surveiller à distance un navire capturé est d’autant plus importante en cas de prise d’otages, où il est impératif de ne pas provoquer une réaction extrême des pirates envers leurs victimes. De plus, les informations collectées lors des interventions deviennent utiles pour l’auto-évaluation et les bilans après action. Avec les risques inhérents aux opérations VBSS, être capable de fournir du feedback est essentiel pour améliorer l’efficacité de l’équipe. Cette efficacité est essentielle, surtout lorsque la vie humaine est menacée et que des actions urgentes deviennent nécessaires.
Un nombre croissant de marines africaines investissent dans la technologie des drones. La Côte d’Ivoire a récemment acquis deux patrouilleurs offshore qui seront couplés à des drones pour une utilisation en mer. Le Nigeria s’appuie sur les drones pour son projet de lutte contre la piraterie et de sécurité maritime connu sous le nom de Deep Blue. Les Seychelles utilisent deux drones de surveillance à longue portée dotés d’intelligence artificielle pour protéger leurs pêcheries. La marine ghanéenne et la Commission des frontières du Ghana utilisent des drones pour traquer les navires suspects et surveiller les frontières maritimes du pays.
Les drones sont utilisés pour diverses tâches maritimes telles que la patrouille frontalière, la sécurité portuaire, la recherche et le sauvetage, ainsi que l’inspection des navires et des marchandises.
Limites et contraintes sur l’utilisation des drones
La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer définit les droits et obligations des États dans les espaces maritimes. Dans son article 19, la convention ne garantit pas un « passage innocent » aux navires qui « lancent, débarquent ou embarquent » un engin militaire dans la mer territoriale d’un État. D’un point de vue juridique, il devient difficile de classer les drones dans une catégorie pouvant bénéficier du droit de passage inoffensif, même si les dispositions ne sont pas explicites sur ce fait. De ce fait, l’utilisation de drones aériens pour la surveillance maritime est limitée aux zones de souveraineté et aux zones où s’applique le droit de la haute mer, c’est-à-dire dans la mer territoriale, la zone économique exclusive et la haute mer. Ainsi, lors d’opérations dans lesquelles des criminels transnationaux sont impliqués, la rigueur est de mise pour éviter de violer les espaces aériens d’autrui, notamment lors d’opérations proches des frontières ou des limites de zones.
Le développement des technologies informatiques et de communication soutient fortement le développement des drones. Dans un monde où ces technologies brisent les barrières, les cyber-risques ont augmenté. L’utilisation de drones en mer repose souvent sur la navigation et les données satellitaires. Des pratiques perturbatrices peuvent mettre en péril la plateforme. L’une des plus courantes est « l’usurpation d’identité GPS », qui se produit lorsqu’un appareil GPS est détourné de ses coordonnées, selon un rapport intitulé « Une nouvelle vague de technologie de drones peut-elle rendre les mers africaines plus sûres ? » publié par l’Institut d’études de sécurité. Cette usurpation d’identité peut provoquer des accidents aussi graves que des collisions avec des navires, pouvant être interprétés comme un acte de guerre. De plus, les terroristes peuvent recourir aux cyberattaques pour prendre le contrôle d’équipements en les déprogrammant puis en les reprogrammant. Enfin, les données collectées par les capteurs sont sensibles et doivent être protégées pour éviter la divulgation d’informations classifiées. Par conséquent, les forces navales doivent adopter des procédures d’évaluation et de réduction des cyber-risques liés à l’utilisation de drones dans leurs opérations afin qu’elles ne compromettent pas la sécurité des missions et des équipements.
La marine du futur
L’utilisation de drones dans le golfe de Guinée peut optimiser les ressources navales traditionnelles et aider les marines à être plus flexibles et plus rapides pour répondre aux menaces. Les avantages liés à leur utilisation concernent notamment les opérations de sécurité maritime, telles que les VBSS et autres missions nécessitant des forces navales de disposer de capacités de collecte de renseignement et de surveillance. Mais l’adoption de nouvelles technologies peut avoir des effets perturbateurs sur les marines. Une des conséquences pourrait être une perte d’intérêt et d’investissement pour les missions de surveillance embarquées, en particulier dans le golfe de Guinée où les ressources sont limitées. Il ne faut donc pas oublier que de nouveaux outils doivent être adoptés pour renforcer la force de combat dans son ensemble, et non pour la remplacer ou la rendre obsolète. Comme l’écrivait de Guibert : « Il ne faut pas se soumettre aux nouvelles technologies, il vaut mieux les maîtriser pour construire la Marine du futur. »
Avec une planification et une compréhension appropriées, les nouvelles technologies telles que les drones peuvent être un outil important pour aider les professionnels de la marine à mener à bien leur mission consistant à assurer la sécurité en mer pour le développement du commerce, des voyages, de la conservation et des loisirs.
Rédigé par le lieutenant-commandant Djaiblond Dominique-Yohann Kouakou, Marine nationale de Côte d’Ivoire.
Kouakou est officier de la Marine Nationale de la République de Côte d’Ivoire. Il compte plus de 15 ans de service et commande un navire de guerre. Il est titulaire d’un diplôme d’ingénieur en opérations navales de l’Ecole Navale Royale du Maroc. Il est également titulaire d’une maîtrise en affaires maritimes de l’Université maritime mondiale de Malmö, en Suède. Il est passionné par la sécurisation des mers avec un accent particulier sur la technologie maritime.
Republié avec la permission de Forum de défense en Afrique et republié avec autorisation. L’article original peut être trouvé ici.