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Menacée par le déclin du papier, l’industrie du bois finlandaise accélère sa diversification

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Lu il y a 19 minutes



Derrière lui, un engin équipé d’un bras articulé saisit délicatement une baguette de mikado. Le tronc, débarrassé de ses branches, est coupé en sections identiques qui tombent au sol dans une douce odeur de sapin, renforcée par l’humidité. Selon leur diamètre, elles serviront pour le chauffage, la pâte à papier ou l’ameublement. Des activités historiques auxquelles UPM, comme la plupart de ses concurrents, ne comptent plus se limiter.


La forêt, moteur de l’économie finlandaise


20 millions d’hectares de forêts dédiés à l’industrie


6e producteur mondial de pâte à papier


715 milliards d’euros de chiffre d’affaires issu des produits forestiers en 2035


– 2,9 % pour le chiffre d’affaires des papiers graphiques d’ici à 2035


+ 4,7 % pour le chiffre d’affaires des produits chimiques et des carburants d’ici à 2035


(Sources : Statista ; Finnish forest industries association)


IMG_UN2977691_07La Finlande est l’un des principaux exportateurs de produits à base de bois, l’Union européenne constituant son premier marché.


Offrir des alternatives renouvelables


Depuis le déclin de la demande de papier graphique, l’industrie finlandaise, pour rester dans la course, poursuit un objectif : fournir des alternatives renouvelables aux produits d’origine fossile. Le pays, qui vise la neutralité carbone en 2035, peut compter sur ses 20 millions d’hectares de forêts. À Lappeenranta, près de la frontière russe, des milliers de pins et de sapins sont stockés à même le sol ou sur des wagons. Ce site d’UPM, appelé Kaukas, est le plus grand du groupe. Longtemps dédié à la fabrication de bois de sciage, de pâte à papier et de papier, il produit également, depuis 2015, des combustibles renouvelables.


Directement approvisionnée en «tall oil», un sous-produit de la fabrication de papier, la bioraffinerie a fourni 130000 tonnes de biodiesel renouvelable l’an dernier. «La qualité du carburant permet une utilisation telle quelle dans les réservoirs de voiture», assure Ville Vauhkonen, chef de produit biofuels d’UPM, devant l’installation. L’activité de xylochimie (la chimie du bois) est en forte croissance. En 2020, le groupe a investi plus d’un milliard d’euros dans une seconde unité qui devrait démarrer à la fin de l’année, en Allemagne. Ses produits se retrouveront dans de nombreuses applications comme le plastique PET, le caoutchouc des pneus ou encore l’industrie pharmaceutique.

Les nanocelluloses constituent une alternative aux matériaux dérivés des animaux, tels que le collagène, et aux plastiques fossiles, comme le polyéthylène.

Johana Kuncova-Kallio, directrice de la division biomédicale d’UPM


Plus surprenant, UPM lorgne aussi les produits de santé. «Nous nous attendons à ce que la demande d’alternatives renouvelables aux carburants d’origine fossile et aux produits pétrochimiques continue d’augmenter», déclare Johana Kuncova-Kallio, docteure et directrice de la division biomédicale d’UPM. À Helsinki, sur le campus de l’hôpital Meilahti, derrière une vitre du centre de recherche Biomedicum, une salariée en blouse blanche dépose à la pipette un gel dans une plaquette dédiée aux tests biologiques. Le produit, légèrement visqueux, est un concentré de fibre de bois mélangée avec près de 99 % d’eau.


«Nous utilisons la nanocellulose pour faire de la culture cellulaire à la place de matériaux d’origine animale», explique la directrice. Fabriqué à petite échelle dans le centre de R&D de Kaukas, le composé organique est issu du bouleau. Depuis 2009, 500 brevets et demandes de brevets ont été déposés dans le domaine des nanocelluloses. La matière se retrouve aussi depuis 2020 dans des pansements de nouvelle génération pour les brûlures. Le matériau sera même injecté chez l’humain cette année, une première. «Les nanocelluloses constituent une alternative aux matériaux dérivés des animaux, tels que le collagène, et aux plastiques fossiles, comme le polyéthylène, commente Johana Kuncova-Kallio. Il sera utilisé en chirurgie pour apporter un soutien mécanique aux tissus mous et aux thérapies cellulaires latérales.»


IMG_UN2977691_11La nanocellulose du bouleau est utilisée dans le développement de produits pharmaceutiques.


Remplacer le graphite dans les batteries


UPM n’est pas la seule entreprise à miser sur les incroyables pouvoirs de la fibre de bois. À Äänekoski, dans le centre du pays, où Metsä Group a développé un écosystème dédié à l’innovation du bois, c’est jour de maintenance. Une odeur de brocolis émane de l’usine. Aux abords de la petite ville entourée de forêts, le site industriel ne se contente pas de produire de la pâte à papier et du carton à partir de copeaux de bois, il expérimente. À côté de ses grandes unités de production, spécialistes de la biochimie et sociétés innovantes ont installé des lignes pilotes pour accompagner l’émergence de nouvelles technologies.


Les résidus de pâte à papier issus des process serviront notamment au groupe Veolia. L’industriel a investi 50 millions d’euros (dont 9,4 millions de subventions de l’État finlandais) à Äänekoski pour produire un biocarburant garanti sans émission de gaz à effet de serre. «Nous prévoyons 12000 tonnes de bioéthanol et 1000 tonnes de bioéthanol destinées aux transports, auxquelles s’ajouteront 2000 tonnes de sulfate d’ammonium, qui serviront, entre autres, à fertiliser les sols», indique Ilona Järveläinen, la vice-présidente du développement commercial de la division finlandaise de Veolia. Des dizaines d’ouvriers s’activent déjà autour d’une colonne de distillation rutilante. «Nous éviterons 30000 tonnes d’émission de gaz à effet de serre», soutient la jeune femme. La technologie pourrait être dupliquée sur d’autres sites de fabrication de pâte à papier.


Le bois s’apprête aussi à jouer un rôle dans les batteries. Un brouhaha émane d’un groupe de professionnels venus à Pulp and Beyond, le salon européen de la filière papetière, qui se tient au centre des congrès d’Helsinki. Dans une pièce réservée aux rendez-vous d’affaires, Juuso Konttinen, le directeur du développement marché biomatériaux de Stora Enso, n’est pas là pour parler de fioul ou de naphta, mais de stockage d’énergie. Le groupe finno-suédois a investi 10 millions d’euros à Sunila, dans le sud-est du pays, pour construire en 2021 un centre pilote dédié à son projet Lignode. Lancé il y a dix ans, il vise à remplacer le graphite des anodes de batteries par de la lignine, un composant naturel qui constitue 20 à 30 % des arbres.


«Nous raffinons la lignine, un sous-produit de notre industrie, pour en faire une poudre noire qui remplace le graphite dans les anodes», résume le directeur. Stora Enso affirme ainsi pouvoir réduire l’empreinte carbone des batteries lithium-ion. «Nous abaissons aussi les temps de recharge car notre matériau est plus poreux que le graphite. Cela permet aux ions de circuler plus vite.» Enfin, l’innovation permettrait de rompre la dépendance à la Chine, qui fournit 90% du minéral à l’échelle mondiale. «Avec notre technologie, les anodes pourront être produites partout où il y a des usines de pâte à papier», ambitionne Stora Enso, qui n’a pas encore défini la date du passage au stade industriel.


Un satellite en bois bientôt dans l’espace


Un volume de 11 cm3 pour un poids de 925 grammes. Constitué principalement de bois, le nanosatellite finlandais Wisa Woodsat attend sa mise en orbite. Après un lancement repoussé en 2021, l’appareil devrait rejoindre l’espace dans les prochains mois. Un premier test en conditions réelles pour une innovation qui est le fruit de la collaboration entre Arctic Astronautics (minisatellites éducatifs), UPM Plywood (filiale de contreplaqué du groupe forestier) et Huld, entreprise spécialisée en design technologique. Objectif : étudier le comportement du matériau – un contreplaqué de bouleau – lorsqu’il est exposé aux températures extrêmes, au vide et au rayonnement dans l’espace. L’analyse des vibrations et de la transmission de chaleur est également au programme de la mission soutenue par l’Agence spatiale européenne. Pour Jari Mäkinen, le cofondateur d’Arctic Astronautics et responsable du projet, le bois pourrait remplacer, pour les constellations à venir, les matériaux traditionnellement utilisés, comme les composites en fibres de carbone ou l’aluminium dont le bilan écologique est plus discutable. Une préoccupation partagée par des scientifiques japonais, qui ont engagé un projet similaire, mais avec du magnolia.


IMG_UN2977691_14Les sous-produits de la pâte à papier sont utilisés par Veolia pour produire du carburant.


Paptic, un emballage souple et recyclable


Depuis la découverte de la viscose au XXe siècle, la fibre de bois restait associée à un procédé particulièrement polluant aux conséquences catastrophiques pour l’environnement et la santé. Au bord de la route de la petite ville de Jyväskylä, dans un showroom épuré recouvert de bois brut, une grande bobine de fil blanc ouvre de nouvelles perspectives. Sur le mur, des prototypes de vêtements et une paire de baskets illustrent quelques débouchés de cette matière aussi douce que du coton. Juha Salmela, le cofondateur de Spinnova, présente les bénéfices du process dont il est l’inventeur. «À la différence des solutions qui dissolvent la fibre avec des produits chimiques avant de la régénérer, notre technologie est entièrement mécanique. Il n’y a aucun ingrédient toxique. Nous pouvons aussi bien travailler la fibre issue de la pulpe de bois, la paille, le cuir ou l’herbe», détaille-t-il.


Inauguré l’année dernière, le démonstrateur pré-industriel dispose d’une capacité de 1000 tonnes de fibres par an. Il a déjà servi à convaincre son partenaire et client, Suzano, premier producteur mondial de pâte à papier. La multinationale brésilienne compte sur la solution de la start-up pour diversifier ses activités. Une première usine, d’une capacité de 20000 tonnes par an, est prévue. La phase de pré-ingénierie commencera au second semestre.


«La fibre textile à partir de bois est un débouché prometteur pour l’industrie papetière, confirme Ali Harlin, docteur et professeur de recherche au VTT, l’équivalent du CEA français, devant une tunique bleue en fibres de bois recyclées. Après avoir subi la baisse de la demande de papier graphique, l’industrie papetière cherche de la valeur ajoutée pour augmenter ses revenus. Le raffinage du bois permet de créer de nouveaux produits avec la même quantité de matière première.» Dans les locaux du VTT, à Espoo, en banlieue d’Helsinki, la recherche sur les produits et matériaux durables bat son plein. En cours d’agrandissement, le bâtiment de brique rouge accueillera à la fin de l’année de nouvelles installations pilotes.

Paptic est fin et résistant, peut se coudre et se souder. Il apporte des propriétés identiques à celles de papiers 50 % plus épais.

Hanna Kalliomaki, directrice du développement durable de Paptic


Les géants de l’emballage, Danone, Tetra Pak ou General Mills, comptent parmi les entreprises qui recourent aux services du VTT. L’essor de l’e-commerce et les évolutions réglementaires de l’emballage européen (le PPWR) contraignent ce secteur à se renouveler. Au plus grand profit de Paptic, spin-off du VTT. «Nous changeons d’échelle, annonce souriante, la directrice du développement durable, Hanna Kalliomäki. Nous doublons notre chiffre d’affaires chaque année depuis quatre ans.» L’entreprise, à l’origine d’un nouveau matériau pour emballage souple, prévoit 750 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2030.


Son innovation : un rouleau de papier opaque au toucher doux et très légèrement extensible. Fabriqué par trois sous-traitants européens à partir d’une pâte de bois à fibres longues, le matériau possède des qualités hors du commun. « Paptic est fin et résistant. Il apporte des propriétés identiques à celles de papiers 50 % plus épais. Il se froisse sans bruit, peut se coudre, se zipper, se souder. Sur les lignes des transformateurs, il s’utilise comme un film plastique», décrit Hanna Kalliomäki, qui évoque un autre atout : sa recyclabilité. «Il se jette et se recycle avec les autres emballages papier-carton.» Sacs, pochettes, étuis… La solution séduit les marques souhaitant remplacer le plastique des emballages de fruits et légumes, de produits hygiéniques, et protéger les objets fragiles comme les bijoux, les surfaces d’écran ou les produits de luxe en cuir. Contrairement au papier traditionnel, le Paptic évite les problèmes d’abrasion.


IMG_UN2977691_17Paptic s’appuie sur trois sous-traitants papetiers en Europe et propose quatre papiers aux différentes propriétés.


Conditionnement pour la cosmétique


Selon l’organisation Metsäteollisuus, les matériaux pour les emballages et les papiers de spécialité représentent l’une des trois grandes tendances de l’industrie finlandaise des dix prochaines années. Avec une croissance moyenne annuelle de 1,8%, cette activité devrait ajouter, à elle seule, 60 milliards d’euros au chiffre d’affaires du secteur forestier en 2035 (par rapport à 2019). À l’instar de Paptic, Sulapac apportera sa contribution. Adoubée en 2018 par la maison de luxe Chanel, qui a investi dans son développement pour un montant confidentiel, la jeune pousse s’est fait connaître en proposant un matériau à base de bois aux nombreux avantages. «Il se met en œuvre avec les mêmes outils que la plasturgie et son empreinte carbone de la production à la porte de l’usine est jusqu’à 20 fois inférieure à celle des plastiques traditionnels», indique Laura Tirkkonen-Rajasalo, la cofondatrice de l’entreprise.


Au cinquième étage d’un immeuble du quartier du design d’Helsinki, l’ancienne chercheuse en science de la vie présente un pot pour les cosmétiques, le premier marché de Sulapac. Couleur pastel, surface lisse et mate, le contenant laisse apparaître de petits grains dans la matière. «Nous avons commencé notre activité en commercialisant des granulés à partir de biopolymères biodégradables et de bois issus de flux secondaires de scieries», explique-t-elle, exhibant également un gobelet, de la vaisselle et des contenants alimentaires fabriqués, cette fois, à partir de minéraux argileux et de biopolymères. Avec une gamme de 13 matériaux compostables en conditions industrielles, dont certains prévus pour l’impression 3D, Sulapac envisage l’avenir sereinement. «Le volume de nos ventes a augmenté de 30 % entre 2022 et 2023», précise Laura Tirkkonen-Rajasalo. En Finlande, pays considéré comme le plus heureux du monde depuis 2018 selon un rapport de l’ONU, le bois qui porte chance n’est peut-être pas qu’une superstition.


La construction en bois prend ses quartiers en milieu Urbain


À Helsinki, le quartier Wood City, sur la presqu’île de Jätkäsaari, arrive à son terme. En juin, le quatrième et dernier bâtiment presque entièrement en bois a été livré. Lancé il y a douze ans par la ville, le constructeur SRV et Stora Enso, un fournisseur de produits forestiers, le projet architectural concrétise un modèle de construction durable de grande ampleur et en milieu urbain. « Il a fallu montrer comment il est possible d’intégrer des structures toujours plus hautes et résistantes, explique Teemu Halme, le principal architecte. Wood City s’inscrit dans le cadre du changement climatique. En 2025, il faudra calculer l’empreinte carbone de chaque nouvelle construction. Le bois est un matériau faiblement émissif de plus en plus privilégié. » Deux immeubles de huit étages sont dédiés aux logements. Les deux autres ont accueilli les entreprises WithSecure (ex-F-Secure), spécialisée dans la sécurité informatique, et Supercell, célèbre éditeur de jeux vidéo. « L’empreinte carbone est 30 % inférieure à celle d’une construction traditionnelle », indique Teemu Halme à propos de ce dernier. La Finlande, déjà habituée aux constructions en bois, à l’instar d’autres pays nordiques, capitalise sur son expérience. « Les projets sont de plus en plus ambitieux », constate l’architecte, dont le cabinet livrera le siège de Stora Enso, situé en bord de mer, dans le centre-ville. « Tout ce qui a été appris a été réintégré dans ce projet », assure-t-il, évoquant le climat et la salinité de l’air et de l’eau de mer.



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