Les États-Unis réduisent progressivement leurs opérations militaires au Niger avant la date limite de la mi-septembre convenue avec la junte militaire au pouvoir dans le pays.
Le Niger, pays enclavé d’Afrique de l’Ouest, a annoncé récemment qu’il mettait fin à sa coopération militaire avec les Etats-Unis après 11 ans de partenariat, après que l’armée a renversé le président démocratiquement élu du pays.
Le Niger est un partenaire militaire stratégique de plusieurs pays, dont les États-Unis, la France, l’Allemagne, l’Italie et la Russie. En plus d’aider les pays d’Afrique de l’Ouest à lutter contre le terrorisme, ces pays étaient également présents pour promouvoir et sécuriser leurs propres intérêts économiques et commerciaux.
Avant le coup d’État du 26 juillet 2023 au cours duquel la junte nigérienne a pris le contrôle, les États-Unis exploitaient deux bases de drones et disposaient de plus de 1 000 militaires dans le pays.
En tant que spécialiste de la politique et de la sécurité de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel, j’ai déjà analysé l’impact de la présence militaire étrangère, en particulier de la base de drones américains à Agadez.
En 2018, j’ai affirmé que la présence de bases de drones ne permettrait pas d’éradiquer le terrorisme dans la région. Et en effet, six ans plus tard, le terrorisme est en augmentation dans la région.
Cela est dû au manque de compréhension de la dynamique des conflits locaux, à l’incapacité de s’attaquer aux causes profondes du terrorisme et au décalage entre le respect des droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme.
À l’aide des données de l’Armed Conflict Location and Event Data – une organisation indépendante à but non lucratif qui collecte des données sur les conflits violents et les manifestations dans tous les pays et territoires du monde – j’ai analysé l’impact de la présence militaire étrangère et de la base de drones américaine sur la lutte contre le terrorisme au Niger. L’analyse est basée sur le nombre d’attaques menées par des groupes terroristes dans le pays et le nombre de morts qui en ont résulté.
Les tableaux ci-dessus montrent que malgré l’opération américaine lancée en 2013, les activités terroristes et les décès ont régulièrement augmenté depuis 2014. En fait, le nombre d’attaques a considérablement augmenté depuis 2018, lorsque les États-Unis ont ouvert la base aérienne 201 à Agadez.
Mes prédictions selon lesquelles la base de drones pourrait aggraver la situation sécuritaire et positionner le pays comme un pôle d’attraction pour l’insurrection semblent s’être réalisées.
La junte militaire a invoqué l’insécurité croissante et la dégradation des perspectives économiques pour justifier sa prise de pouvoir. Les tableaux ci-dessus montrent qu’elle avait raison de dire que l’insécurité s’est accrue malgré la présence de personnel militaire étranger dans le pays. De nombreux Nigériens qui ont protesté contre la présence de l’armée américaine et française dans le pays ont également exprimé des inquiétudes similaires.
Le succès américain au Sahel
Bien que les graphiques ci-dessus ne montrent aucun effet positif significatif des États-Unis au Niger, il y en a quelques-uns.
Les États-Unis ont aidé certains pays de la région (Cameroun, Tchad, Niger, Nigéria et Bénin) à créer une force opérationnelle conjointe pour lutter contre le terrorisme.
La Force multinationale mixte a été créée en 1994 par le Nigéria pour lutter contre le banditisme armé transfrontalier dans la région du bassin du lac Tchad. En 2015, le mandat de la force a été modifié pour lutter contre le terrorisme dans la région. Les États-Unis ont joué un rôle dans la création de cette plateforme.
Les États-Unis ont également fourni un soutien logistique et consultatif à la force opérationnelle et au groupement G5 Sahel, aujourd’hui disparu. Les bases de drones américaines ont été particulièrement importantes pour la collecte d’informations dans tout le Sahel. Ces informations étaient pertinentes pour les opérations de lutte contre le terrorisme de la force opérationnelle.
Le ministère américain de la Défense a également apporté un soutien financier à d’autres troupes et groupes étrangers impliqués dans la lutte contre le terrorisme dans la région. En 2018, par exemple, les États-Unis ont fourni 59 millions de dollars pour soutenir et renforcer les capacités des États partenaires africains.
Malgré certains succès enregistrés, la présence militaire étrangère et l’implantation de la base de drones n’ont pas affaibli les organisations terroristes au Niger et plus largement dans la région du Sahel.
À mon avis, trois facteurs principaux expliquent les raisons de l’échec américain au Niger.
Premièrement, l’accent a été mis sur les opérations militaires sans s’intéresser aux raisons économiques du terrorisme. Des recherches ont montré le lien entre pauvreté et terrorisme. Les mauvaises perspectives économiques, le chômage et la forte population jeune ont contribué à l’expansion des groupes terroristes au Niger.
Un rapport récent de la Commission du bassin du lac Tchad souligne l’importance des mesures non cinétiques (non violentes) dans la lutte contre le terrorisme. Le terrorisme dans la région ne peut être résolu par des moyens militaires. Il faut s’attaquer aux problèmes qui en découlent pour réduire les incitations des individus à rejoindre des groupes terroristes.
Deuxièmement, les États-Unis et leurs alliés n’ont pas pleinement compris la dynamique locale du pays ni le rôle des dirigeants traditionnels dans l’aide ou la lutte contre les groupes terroristes.
Dans mes recherches précédentes, j’ai découvert que le clientélisme politique jouait un rôle dans la formation et la croissance des groupes insurgés.
La situation est la même au Niger et dans d’autres pays africains. La dynamique politique locale, l’ethnicité et la religion déterminent l’ampleur et les dimensions du terrorisme. Une approche militaire sans dialogue avec les groupes locaux concernés, en particulier les chefs traditionnels, ne produira aucun résultat positif significatif.
Troisièmement, l’accent mis sur les droits de l’homme dans la lutte contre le terrorisme pousse le Niger et d’autres juntes à s’allier à la Russie et à la Chine. Les États-Unis et leurs alliés refusent régulièrement de vendre certaines armes à des pays africains en invoquant des violations des droits de l’homme. En 2021, le Congrès américain a bloqué la vente d’armes importantes nécessaires à la lutte contre le terrorisme au Nigeria. La Russie et la Chine, en revanche, n’imposent pas de telles restrictions aux ventes d’armes. Le Niger a récemment renforcé ses liens militaires avec la Russie.
Enfin, certains Nigériens, analystes et experts, estiment que l’objectif premier des États-Unis et de leurs alliés dans le pays n’est pas de combattre l’insurrection mais de promouvoir leurs propres intérêts. C’est un message qui a trouvé un écho auprès de l’opinion publique nigérienne après le coup d’État et dont la junte militaire s’est emparée pour s’assurer un soutien.
L’insécurité et le terrorisme au Niger pourraient être décrits comme un « problème épineux », complexe et difficile à résoudre.
Certains des échecs des États-Unis ne sont pas de leur faute. Mais les États-Unis devraient faire preuve d’introspection et repenser leurs alliances en matière de sécurité, en s’assurant que la volonté des citoyens ordinaires soit prise en compte.
Rédigé par Olayinka Ajala, maître de conférences en politique et relations internationales, Université Leeds Beckett.
Réédité avec la permission de La Conversation. L’article original peut être trouvé ici.