Le Conseil de sécurité des Nations Unies a voté à l’unanimité le 15 août 2024 pour prolonger le mandat des 12 626 hommes et femmes de la Mission de transition de l’Union africaine en Somalie (Atmis). La mission africaine est déployée en Somalie depuis 17 ans pour soutenir la lutte du gouvernement contre le groupe terroriste local Al-Shabaab. Malgré les récents succès du gouvernement, les combats se poursuivent en Somalie.
Pourquoi al-Shabaab s’est-il révélé si difficile à vaincre ?
Cela fait 18 ans que le groupe militant Harakat al-Shabaab, comme se nomme lui-même al-Shabaab, est né dans un État somalien en pleine désintégration. Il est né en 2006 d’un réseau radical existant qui régnait sur la capitale Mogadiscio par le biais des tribunaux de la charia. Depuis lors, il a subi à la fois des défaites sur le champ de bataille et des pertes territoriales. Mais il reste aussi fort que jamais.
En 2012, le groupe a rejoint le réseau terroriste mondial Al-Qaïda. Les effectifs d’Al-Shabaab sont estimés entre 7 000 et 12 000 soldats, ce qui en fait numériquement l’organisation la plus puissante sous l’égide d’Al-Qaïda.
Je suis chercheur et auteur. J’étudie l’économie de guerre, la sécurité, l’islam politique, la religion et le développement. Je m’intéresse particulièrement à la Corne de l’Afrique. Mon livre, Horn, Sahel and Rift, the Faultlines of African Jihad, met en lumière les facteurs qui ont permis aux djihadistes africains de survivre et de prospérer pendant des décennies. Certains de ces facteurs s’appliquent au cas d’al-Shabaab.
Al-Shabaab s’est enrichi et a conservé son influence grâce à six facteurs principaux.
Une doctrine occidentale erronée
L’Occident et ses partenaires africains ont privilégié l’approche « cœurs et esprits » pour contrer l’insurrection en Somalie. La mise en place d’institutions démocratiques et de la démocratie fait partie de cette stratégie. Mais ces institutions ne fonctionnent pas toujours dans une zone de guerre et n’ont pas les effets escomptés.
Cette stratégie, ainsi que l’accent mis sur la puissance militaire, ont tendance à négliger la sécurité de la population locale. Les civils sont abandonnés à la merci des bandits et des insurgés. Les habitants sont exposés à des pressions pour approvisionner les insurgés, leur payer des impôts et les rejoindre. Dans de nombreux cas, ils comptent sur les insurgés pour leur protection lors des conflits locaux.
Taxation illégale
Al-Shabaab est une machine à collecter des revenus qui se livre à des impôts illégaux, à la contrebande et au blanchiment d’argent. Elle y parvient parce que ses adversaires ne font pas assez pour protéger les zones conquises ou contrôlées par le gouvernement. Al-Shabaab est en mesure de gouverner et de contrôler même les zones qui sont militairement contrôlées par l’État et la mission de l’Union africaine.
Le gouvernement a lancé une campagne contre la taxation d’al-Shabaab à Mogadiscio depuis 2022. Il a réussi à restreindre les canaux de transfert d’argent électronique du groupe en surveillant de plus près le monde des affaires.
Les alliés occidentaux du gouvernement ont également contribué à réprimer les réseaux de blanchiment d’argent en dehors de la Somalie, à Dubaï, au Kenya, en Ouganda, à Chypre et en Finlande.
Mais même ces efforts n’ont pas pris en compte les problèmes de sécurité du monde des affaires somalien.
Dans ce contexte, les milieux d’affaires somaliens sont prêts à payer des impôts à Al-Shabaab. L’auteure Aisha Ahmad a souligné que cet argent était crucial pour expliquer la réapparition d’Al-Shabaab après des pertes substantielles en 2006-2007 et en 2011-2016.
Protection
La réputation de protecteur du groupe s’est construite dès le début. Si l’interprétation de la charia par al-Shabaab était dure, elle offrait une certaine prévisibilité et, dans certains cas, même une protection. Le système judiciaire d’al-Shabaab a produit des résultats.
La capacité du groupe à mettre en œuvre ses politiques et à punir les civils qui y résistent a renforcé son influence.
Rivalités communautaires
Les clans jouent un rôle important dans tous les aspects de la vie en Somalie. Ils définissent les relations entre la population et tous les acteurs du pays, y compris Al-Shabaab.
Le clan est devenu plus important pour la politique intérieure et extérieure d’Al-Shabaab. Le groupe s’efforce de courtiser les chefs traditionnels et de les organiser au sein d’une choura clanique nationale (conseil consultatif). Dans certains cas, le groupe a tenté de contrebalancer l’influence du gouvernement sur certains clans et d’empêcher la mobilisation des milices claniques par le gouvernement. Dans les régions stratégiques, par exemple le long des voies d’approvisionnement d’Al-Shabaab, les anciens des clans peuvent avoir une grande influence.
Les clans ont récemment été mobilisés par le gouvernement pour combattre Al-Shabaab. Mais les forces de soutien des clans peuvent se fracturer en raison de conflits entre clans, ce qui compromet la guerre contre Al-Shabaab. Dans certains cas, les conflits entre clans poussent également les clans, et même les individus, à s’allier aux Shabaab pour se protéger.
La sécurité rurale, y compris la médiation entre les clans, ne fait pas partie de l’approche adoptée pour lutter contre al-Shabaab.
Faiblesses de l’armée
L’armée somalienne s’est considérablement améliorée au cours des quinze dernières années. Elle mène l’offensive actuelle et mène la plupart des combats. Cette institution qui existait à peine il y a 15 ans compte aujourd’hui environ 19 000 soldats, dont 8 000 sont des troupes mobiles formées par des officiers américains et turcs. Le taux de désertion est bien inférieur à ce qu’il était autrefois. La formation s’est améliorée et les soldats sont payés, ce qui n’a pas toujours été le cas.
Mais l’armée manque encore d’effectifs pour lancer des offensives crédibles dans plusieurs régions simultanément. Son manque de motorisation limite également sa capacité à déplacer des unités d’une région à l’autre. Cela fait douter du soutien militaire que l’armée somalienne peut apporter aux États fédéraux qui hésitent à affronter seuls les shebab.
L’armée somalienne doit également faire face à des problèmes internes, notamment la corruption et le recrutement basé sur les clans.
L’existence de zones sûres
Les régions principales contrôlées par al-Shabaab dans le Bas et le Moyen-Juba, dans le sud de la Somalie, ainsi que dans l’État du Sud-Ouest, n’ont pour l’instant été que très peu touchées par l’offensive actuelle. Al-Shabaab contrôle des territoires dans ces régions depuis plus d’une décennie et demie. Ses structures administratives sont bien établies au niveau local.
Ces régions constituent un arrière-pays que les shebab peuvent utiliser pour reposer leurs forces, former de nouvelles troupes et planifier et coordonner leurs opérations et leurs efforts de propagande. Il est impossible de vaincre le groupe sans s’emparer de ces territoires.
Et ensuite ?
Les précédentes offensives contre Al-Shabaab en Somalie mettent en évidence les faiblesses des stratégies de contre-insurrection occidentales et locales. Le résultat est une impasse relative. Les leçons du passé sont toujours valables pour l’avenir, mais sont souvent négligées.
Rédigé par Stig Jarle Hansen, professeur associé de relations internationales, Université norvégienne des sciences de la vie.
Réédité avec la permission de La Conversation. L’article original peut être trouvé ici.