La Russie a subi des coups durs à sa réputation à la mi-2024. Une attaque de l’Ukraine sur son territoire a créé la surprise. En Afrique de l’Ouest, le groupe de mercenaires Wagner, soutenu par la Russie, a connu l’une de ses plus lourdes pertes au Mali.
Une alliance de groupes rebelles touaregs connue sous le nom de Cadre stratégique permanent pour la défense du peuple de l’Azawad a uni ses forces fin juillet avec Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin, une coalition de quatre groupes terroristes opérant au Mali, au Burkina Faso et au Niger.
L’alliance rebelle-terroriste a attaqué un contingent de l’armée malienne soutenu par des combattants Wagner. Après trois jours de combats acharnés, des dizaines de soldats maliens et de combattants Wagner ont été tués ou capturés.
Cette attaque est significative à bien des égards. Elle montre notamment que la junte malienne a du mal à sécuriser le pays (raison invoquée pour justifier sa prise de pouvoir, l’expulsion de la France et son recours à la Russie).
D’autre part, cette attaque met en évidence l’impact de la géopolitique dans la région. Elle fait craindre qu’une nouvelle guerre par procuration entre la Russie et l’Ukraine ne soit en train de se déclencher en Afrique.
C’est le deuxième pays d’Afrique où l’Ukraine s’implique dans des conflits locaux pour attaquer des éléments russes. Les forces spéciales ukrainiennes sont « actives » dans la guerre civile au Soudan, où la Russie a des intérêts.
En tant que spécialiste de la sécurité et de la politique africaines, je mène des recherches sur les conflits, la gouvernance, le terrorisme et le développement sur le continent. Au début de la guerre entre la Russie et l’Ukraine en 2022, j’ai analysé la position des pays africains sur la guerre et expliqué pourquoi plusieurs d’entre eux ont choisi d’être « neutres » et de ne pas prendre parti dans le conflit.
J’ai fait valoir que de nombreux pays africains ne voulaient pas s’impliquer dans ce qui était considéré comme une guerre par procuration entre les États-Unis et la Russie. Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, de nombreux pays européens ainsi que les États-Unis ont inondé l’Ukraine d’armes pour défendre son territoire. Pour la première fois, l’UE a fourni une aide létale à l’Ukraine.
Bien que les États-Unis et les pays européens aient nié qu’il s’agisse d’une guerre par procuration, le directeur de la CIA sous Barack Obama a admis : « C’est une guerre par procuration avec la Russie, que nous le disions ou non. » Ce point de vue était partagé par plusieurs pays africains, déterminés à rester neutres pour ne pas être entraînés dans le conflit.
Avec l’implication de l’Ukraine dans la guerre au Soudan et maintenant au Mali, il semble que les pays africains se laissent entraîner dans cette guerre, sur leur propre territoire.
Une nouvelle guerre par procuration aurait de graves conséquences pour la région et plus largement pour le continent. La dynamique sécuritaire en Afrique est très complexe, avec des problèmes tels que l’ethnicité, la religion, les inégalités, la topographie et la pauvreté qui ajoutent à la fragilité.
La Libye est un exemple de la façon dont une ingérence extérieure peut entraîner un conflit qui dure des décennies et déstabiliser toute la région. Les dirigeants africains doivent éviter une intervention étrangère comme celle de la Libye, qui a été qualifiée d’échec.
La dimension étrangère du conflit malien
D’autres indices d’une guerre par procuration entre les États-Unis et l’Ukraine d’une part et la Russie d’autre part sur le territoire africain ont été mis en évidence lorsque le représentant des services de sécurité ukrainiens, Andriy Yusov, a déclaré à la télévision que l’Ukraine avait « permis » l’attaque contre l’armée malienne et Wagner.
L’ambassadeur d’Ukraine au Sénégal, en Guinée-Bissau, en Côte d’Ivoire et au Liberia, Yurii Pyvovarov, a également été accusé par le gouvernement sénégalais d’apporter « un soutien sans équivoque et sans réserve à l’attaque terroriste » au Mali.
En réaction, le Mali et le Niger ont rompu leurs relations diplomatiques avec l’Ukraine. Le Sénégal a également convoqué l’ambassadeur ukrainien. La Cedeao, organisation économique ouest-africaine, a déclaré sa « ferme désapprobation et sa ferme condamnation de toute ingérence extérieure dans la région ».
Il s’agit d’un revers majeur pour l’Ukraine dans la région.
Bien que l’Ukraine ait nié soutenir les groupes terroristes dans la région, son implication dans la mort de soldats maliens a suscité une condamnation.
La Russie a déjà profité de cette attaque pour qualifier l’Ukraine d’ennemie de l’Afrique. Elle a accusé l’Ukraine d’ouvrir un « deuxième front » en Afrique et de soutenir des groupes terroristes.
La position de l’Ukraine
En juin 2024, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a organisé un sommet pour recueillir des soutiens à son appel à la Russie pour qu’elle mette fin à son invasion ; 92 pays y ont participé, dont 57 chefs d’État ou de gouvernement.
Près de 80 pays ont signé un document condamnant la Russie pour la guerre et déclarant l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Seuls 12 d’entre eux étaient africains. Le Mali, le Niger et le Burkina Faso n’étaient pas présents. Moins de 20 pays africains ont envoyé des représentants.
C’est une nouvelle preuve que les pays africains ne veulent pas s’impliquer dans le conflit russo-ukrainien. Nombre d’entre eux se sont d’ailleurs abstenus lors des précédents votes de l’Assemblée générale de l’ONU, et ce malgré les efforts de l’Ukraine pour obtenir le soutien du continent.
Les récits sur le rôle de l’Ukraine au Mali ne feraient qu’affaiblir son influence en Afrique. En effet, plusieurs pays du continent sont fragiles et le terrorisme y est un problème grave.
Une victoire de la propagande russe ?
Depuis les coups d’État qui ont eu lieu en Afrique de l’Ouest au cours des quatre dernières années, la Russie s’est positionnée comme une alternative à l’influence occidentale dans cette région. Elle profite du chaos qui règne dans la région pour combler rapidement le vide laissé par la France et ses alliés au Sahel.
Peu de temps après l’embuscade contre les forces maliennes et Wagner, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a réitéré l’engagement de la Russie à aider le Mali à renforcer ses capacités de combat, à former du personnel militaire et à résoudre les problèmes socio-économiques urgents.
Depuis plus d’une décennie, la Russie se présente comme un partenaire alternatif dans la lutte contre le terrorisme dans la région. Par exemple, lorsque les États-Unis ont refusé de vendre des armes au Nigéria en raison d’un rapport accablant d’Amnesty International accusant l’armée nigériane de violations des droits de l’homme, le Nigéria s’est tourné vers la Russie pour obtenir des armes.
La Russie ayant perdu des alliés en Occident depuis son invasion de l’Ukraine, l’Afrique est devenue une région de soutien importante. L’Ukraine souhaite également obtenir le soutien des pays africains, comme en témoigne son intention d’ouvrir dix nouvelles ambassades sur le continent. Dans une guerre où les deux camps recherchent un soutien extérieur, la perte de l’Ukraine pourrait se transformer en gain pour la Russie.
Une voie à suivre
Les dirigeants africains doivent s’unir pour condamner toute forme d’ingérence extérieure susceptible de déstabiliser davantage la région. Ils doivent exiger de la Russie qu’elle rende des comptes sur les activités du groupe Wagner sur le continent, tout en faisant comprendre à l’Ukraine qu’aucune ingérence étrangère ne sera tolérée sur le continent.
Il faut également s’attaquer à la situation des Touaregs. L’ancien président du Niger, Mahamadou Issoufou, a pu mener à bien ses deux mandats en partie parce qu’il a su répondre aux demandes des Touaregs de son pays et à leurs préoccupations.
Le gouvernement malien devrait comprendre qu’il n’existe pas de solution militaire au dilemme touareg. Il devrait s’inspirer de la politique d’Issoufou, qui a apaisé les Touaregs du Niger pendant ses mandats présidentiels.
Rédigé par Olayinka Ajala, maître de conférences en politique et relations internationales, Université Leeds Beckett.
Réédité avec la permission de La Conversation. L’article original peut être trouvé ici.