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Ariane 6 fait une entrée presque parfaite

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Lu il y a 13 minutes


Ariane 6
Décollage du premier vol d’Ariane 6. Crédit : S. Corvaja – ESA.
Le vol inaugural tant attendu d’Ariane 6 va permettre à l’Europe de renouer avec son autonomie d’accès à l’espace. Malgré l’échec de la désorbitation du dernier étage, le nouveau lanceur européen va pouvoir entamer sa carrière opérationnelle avec une première mission en décembre.

Près de neuf ans après la signature des contrats entre l’ESA et ArianeGroup pour le lanceur et avec le Cnes pour les installations au sol, la phase de développement d’Ariane 6 s’est achevée en apothéose avec un vol de qualification quasi-parfait. Après un report d’une heure le temps de vérifier un canal de télémesure défectueux, le premier modèle de vol d’Ariane 6 (FM1), numéro de série L6001, a décollé de l’Ensemble de lancement Ariane n°4 (ELA-4), au Centre spatial guyanais, le 9 juillet à 19 h 00 TU. Cette mission VA262 marquait le grand retour d’Ariane, un an et quatre jours après qu’Ariane 5 eût tiré sa révérence le 5 juillet 2023 avec la mission VA261.

Une étape cruciale dès le décollage

N’était ce problème de connexion au niveau du sol, vite réglé, la chronologie de ce lancement s’est déroulée « parfaitement » affirment à l’unisson le Cnes et ArianeGroup. Aucune des anomalies classiques sur un vol inaugural n’est venue perturber le décompte. À l’ouverture de sa fenêtre, le lanceur a mis à feu son moteur Vulcain 2.1 d’ArianeGroup, une version dérivée du Vulcain 2 d’Ariane 5 incorporant des éléments réalisés par fabrication additive et optimisée pour réduire les coûts. Une fois le régime stabilisé atteint, les deux étages d’accélération à propergol solide, ont allumé leur moteur P120C d’Europropulsion et le lanceur a quitté sa table.

Ariane 6 bras cryotechniques
Les bras cryotechniques se sont correctement ouverts à l’allumage des accélérateurs solides. Crédit : S. Corvaja – ESA.

Contrairement à ce qui se passait sur Ariane 5, où le T0 du lancement correspondait à l’allumage du Vulcain, sur Ariane 6 il a été fixé à l’allumage des P120C, qui est le point de non retour, 7 s plus tard. Sur Ariane 5, les bras cryotechniques alimentant l’étage supérieur se repliaient 5 s avant le T0, ce qui pouvait poser des problèmes de vidange des réservoirs et de passivation de l’étage en cas de tir avorté. Sur Ariane 6, ils se séparent à l’allumage des accélérateurs et leur écartement doit être rapide et fiable pour éviter que le lanceur ne les arrache ou qu’ils endommagent les accélérateurs.

Leur développement, complexe, a été l’une des multiples causes du retard d’Ariane 6, mais le Cnes et ses sous-traitants industriels – Latésys, Cegelec et Air Liquide – n’ont pas ménagé leurs efforts. Ce 9 juillet, cela a payé : les bras se sont parfaitement ouverts et ont laissé passer le lanceur.

Ariane 6 s’envole pour la première fois

Les deux P120C, moteurs qui équipent aussi le premier étage de Vega C, ont parfaitement fonctionné dans leur nouveau rôle, avec une queue de poussée symétrique jusqu’à leur séparation au bout de 135 s de vol. Des caméras embarquées ont permis d’assister à la mise à feu des moteurs d’éloignement fournis par Kongsberg, en Norvège. À 220 s, les deux demi-coiffes en composite, développées par Beyond Gravity en Suisse, se sont séparées. Pour ce vol inaugural, la version courte, de 14 m de long, a été utilisée. L’étage principal a fonctionné pour sa part pendant 462 s, amenant la partie haute du lanceur à 280 km d’altitude et 3,76 km/s (13 536 km/h).

Une fois de plus, des images transmises par les caméras embarquées – une nette amélioration par rapport à Ariane 5 pour la communication à destination du grand public – ont permis d’assister à la séparation de l’étage principal, ainsi qu’à l’ouverture de l’évent de dégazage qui permet son éloignement et sa mise en rotation afin d’assurer sa dislocation lors de la rentrée dans l’atmosphère.

Ariane 6 séparation
Séparation de l’étage principal d’Ariane 6 lors du vol inaugural. Crédit : ESA.

Le moteur Vinci s’est allumé 480 s après le décollage et l’étage supérieur a poursuivi sa course vers l’orbite. Ce moteur connaissait enfin son baptême de l’espace vingt-cinq ans après la décision de sa mise développement, lors de la ministérielle européenne de Bruxelles, en 1999. Il devait initialement propulser l’étage supérieur rallumable d’Ariane 5ECB, la version d’Ariane 5 dont Ariane 5ECA, avec son moteur HM7 hérité d’Ariane 4, n’était que le brouillon. Finalement, en raison du surcoût causé par l’échec du premier vol d’Ariane 5ECA, en décembre 2002, Ariane 5ECB a été abandonné et le développement de Vinci n’a été maintenu qu’à très petite vitesse. En 2012, il avait été décidé qu’il propulserait l’étage supérieur d’Ariane 5ME (Mid-life Evolution), une version modernisée d’Ariane 5ECB abandonnée deux ans plus tard au profit d’une transition rapide vers Ariane 6.

Ariane 6 inaugure l’APU

Soixante-trois secondes après l’allumage du moteur Vinci, l’autre moteur de l’étage supérieur est entré en action. Il s’agit de l’APU (Auxiliary Power Unit), un générateur de gaz auxiliaire développé par ArianeGroup. Ce dispositif inédit prélève de l’hydrogène et de l’oxygène gazeux dans les réservoirs pour les mettre à feu et générer des gaz chauds qui peuvent être utilisés notamment pour fournir des poussées d’appoint, notamment pour « tasser » les ergols au fond des réservoirs avant le rallumage d’un moteur à l’issue d’une phase balistique.

La réalisation de cet APU, sur lequel les détails techniques ont été jalousement gardés par ArianeGroup, fait très largement appel à la fabrication additive. Cet équipement ne faisait pas partie du développement initialement commandé par l’ESA dans son contrat avec ArianeGroup mais l’industriel, qui a lui aussi investi dans le programme Ariane 6, l’a ajouté de son propre chef pour accroître la souplesse d’utilisation de l’étage supérieur d’Ariane 6. Son développement, qui a rencontré quelques difficultés, notamment en raison de son caractère inédit et de la courbe d’apprentissage sur les technologies de fabrication additive (impression 3D métallique) a contribué au retard général du programme.

APU ULPM Ariane 6
Le générateur de gaz de l’APU d’Ariane 6 fait appel à la fabrication additive. Crédit : ArianeGroup.

Après 642 s de propulsion, le moteur Vinci s’est éteint et une phase balistique de près de 38 minutes a suivi. Cinquante six minutes et vingt secondes après le décollage, le moteur Vinci s’est rallumé – grâce à l’impulsion fournie par l’APU – pour une poussée de 22 s qui a permis la circularisation de l’orbite à 580 km d’altitude avec une inclinaison de 62°. Environ 9 minutes plus tard, l’APU a été éteint.

L’étage s’est ensuite réorienté pour larguer les huit cubesats constituant sa charge utile, en trois fois.

L’APU subit une anomalie

Huit minutes après le dernier largage, l’APU a été redémarré. Il devait alors fournir une impulsion pour rehausser légèrement l’orbite de l’étage, mais des mesures hors norme ont causé son extinction quasi-immédiate. À ce stade, nous ne disposons pas des éléments permettant de décrire l’anomalie qui s’est produite.

L’APU a déjà été testé au sol, seul et au sein de l’étage, notamment à Lampoldshausen sur l’étage HFM (Hot Firing Model). Sur la mission VA262, il affrontait pour la première fois les conditions de température, de vide et de microgravité qu’il est impossible de reproduire ensemble sur Terre. Il est vraisemblable que pour éviter des accidents sur un dispositif aussi novateur, des marges de sécurité volontairement importante aient été imposées.

Ariane 6 ULPM HFM Lampoldshausen
Mise en place du HFM, premier modèle de l’étage supérieur d’Ariane 6 sur le banc P5.2 à Lampoldshausen. Crédit : S. Corvaja – ESA.

L’APU a-t-il rencontré des conditions d’allumage imprévues (ingestion d’ergols liquides et non gazeux, conditions de température et de pression hors limites) ? Celles-ci étaient-elles marginalement ou largement dépassées ? Le dépouillement et l’analyse de l’imposante masse de télémesures récoltées devrait permettre de comprendre ce qui s’est passé. Car tel était l’objet de ce vol de qualification : s’assurer que la qualification du lanceur, qui a déjà été prononcée à l’issue de la revue ayant passé au crible tous les résultats des essais au sol, est bien confirmée par l’expérience et que tout son fonctionnement est bien compris. À cette fin, le lanceur était bardé d’un millier de capteurs additionnels qui ne figureront plus sur les lanceurs suivants. Par la suite, avec l’expérience des vols récurrents, les équipes d’ArianeGroup pourront raffiner leur connaissance du lanceur et surtout de ses marges, ce qui permettra d’optimiser ses performances.

Ariane 6 n’a pas désorbité son étage supérieur

Conséquence de l’extinction prématurée de l’APU à son deuxième allumage, la rehausse d’orbite n’a pas eu lieu, mais surtout, au bout de près de deux heures de vol, son troisième rallumage n’a pas été commandé. Les ergols n’étant pas tassés dans leur réservoir, l’ordinateur de bord n’a pas lancé le troisième allumage du Vinci qui aurait dû amener la désorbitation de l’étage au-dessus du Pacifique sud, comme prévu dans le cadre de la limitation des débris sur orbite. Au lieu de cela, il a passivé l’étage pour éviter les risques d’explosion ultérieure susceptible de générer des débris.

Victimes collatérales de cette anomalie, les deux capsules de démonstration technologiques embarquées sur ce premier vol, SpaceCase SC-X-01 d’ArianeGroup et Nyx Bikini de The Exploration Company, n’ont pas été séparée pour éviter de créer plus de débris. Dépourvues de toute propulsion, elles auraient dû être larguées par l’étage durant sa descente afin de tester leur entrée dans l’atmosphère. elles devaient retransmettre leur données de vol, mais aucune récupération n’était prévue.

Ariane 6 FM1 Lanceurs
La charge utile du premier vol d’Ariane 6. La capsule SpaceCase SC-X-01 apparaît en blanc à droite et la capsule Bikini en ocre à gauche. Crédit : ESA – Cnes – Arianespace – ArianeGroup – Optique CSG.

À la suite de ce vol, réussi pour l’essentiel, malgré ce désagrément final, les responsables de l’ESA, du Cnes, d’ArianeGroup et d’Arianespace ont tenu à assurer que le prochain vol d’Ariane 6 restait prévu pour la fin de l’année, sous l’égide d’Arianespace, avec une charge utile du ministère français des Armées. Bien évidemment, même si personne ne le dit ouvertement, il s’agit du satellite d’observation optique CSO-3.

La fin d’année devrait donc voir l’activité de lancements reprendre à Kourou, avec le dernier vol de Vega (VV24) début septembre, pour lancer Sentinel 2C pour le programme européen Copernicus. Suivra le retour en vol de Vega C (VV25) en novembre – sous réserve d’un nouveau succès de l’essai au sol d’un moteur Zefiro 40 à la rentrée – avec le satellite radar Sentinel 1C. Et Ariane 6 devrait donc conclure l’année avec VA263.

Ariane 6
Avec Ariane 6, l’Europe retrouve son accès à l’espace. Crédit : S. Corvaja – ESA.

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