La Journée mondiale des réfugiés – célébrée le 20 juin – rappelle que l’Afrique et le monde ne peuvent pas maintenir pacifiquement le rythme actuel des déplacements.
En mai, 120 millions de personnes avaient été déplacées de force dans le monde cette année – contre 35,8 millions en 2012, selon le rapport annuel sur les tendances mondiales de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). La plupart (75,9 millions) sont des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays.
Les troubles et la violence politiques, les conflits, le changement climatique et les catastrophes naturelles s’aggravent et déclenchent de plus en plus des crises d’une ampleur et d’une complexité sans précédent.
Depuis des années, l’Institut d’études de sécurité avertit que le nombre de réfugiés africains augmente à un rythme intenable, tandis que les solutions durables et l’aide humanitaire continuent de diminuer. De nombreuses crises africaines de longue durée sont chroniquement sous-estimées, sous-financées et sous-traitées, quelle que soit leur gravité. L’extrémisme, l’instabilité politique, la violence et la souffrance humaine prospèrent dans la négligence. La responsabilité du monde envers les réfugiés africains va au-delà de la bonne volonté humanitaire ; la paix et le développement en dépendent.
Environ 37 % (45,9 millions) des personnes déplacées de force se trouvent en Afrique, dont environ 8,9 millions de réfugiés, 1,1 million de demandeurs d’asile, 35 millions de personnes déplacées et un million d’apatrides. Le conflit au Soudan, la recrudescence des violences dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), la violence persistante et les inondations soudaines en Somalie ont entraîné de nouveaux déplacements massifs en 2023. De nombreux autres pays sont confrontés à des déplacements prolongés en raison de conflits ou d’instabilité de longue date.
Le rapport du HCR met en garde contre « l’apathie et l’inaction » face à l’augmentation des déplacements. À mesure que le nombre de réfugiés augmente, le sous-financement augmente également. L’appel global 2024 du HCR montre un déficit de 55 %. Le déficit de financement signifie que le HCR doit réduire ses opérations au strict minimum ou déterminer qui reçoit l’aide tout en supprimant les autres.
Les réfugiés en Afrique sont protégés par la Convention relative aux réfugiés de 1951 et son Protocole de 1967 ainsi que par la Convention de l’Organisation de l’unité africaine de 1969. Cette dernière étend la portée de la Convention relative aux réfugiés pour inclure les événements aveugles tels que l’agression extérieure, l’occupation, la domination étrangère et les incidents troublant gravement l’ordre public. Il permet la reconnaissance prima facie du statut de réfugié, ce qui signifie que les personnes n’ont pas besoin d’être évaluées individuellement si elles fuient. Les deux conventions contiennent le principe de non-refoulement qui empêche les pays d’expulser des personnes lorsqu’ils craignent un préjudice.
Ces dernières années, les pays les plus riches, y compris les fondateurs de la Convention relative aux réfugiés, ont réduit les protections, restreint les voies d’accès et soutenu moins de solutions en réponse à la montée des politiques anti-migrants. Bon nombre de ces mesures s’adressent aux Africains et ont de graves conséquences.
En avril, le Royaume-Uni a adopté une législation garantissant qu’il peut envoyer des demandeurs d’asile au Rwanda. Cela fait suite à une décision de la Cour suprême de 2023 selon laquelle l’accord proposé était illégal sans garantie que les demandeurs d’asile seraient en sécurité et protégés. L’accord avec le Rwanda a été largement condamné parce qu’il porte atteinte à la Convention relative aux réfugiés.
La France a accéléré l’adoption de la loi française sur l’immigration de 2024 – « le texte le plus répressif depuis 1945 ». Le Conseil constitutionnel français a censuré près de la moitié de ses dispositions avant leur promulgation. Ce mois-ci, le président des États-Unis, Joe Biden, a publié un décret autorisant les États-Unis à fermer la frontière si les arrivées quotidiennes atteignaient 2 500 personnes et à renvoyer les migrants par la frontière, y compris les demandeurs d’asile.
De nombreux pays africains restreignent également les protections. La Tunisie, le Maroc et la Mauritanie ont été accusés d’avoir expulsé de force des migrants africains, y compris des demandeurs d’asile, vers les déserts, par camions, grâce à des fonds européens. Fin 2023, l’Afrique du Sud a publié un livre blanc visant à remanier son système migratoire, comprenant une proposition de retrait de la Convention relative aux réfugiés de 1951 et d’y réadhérer avec des réserves.
Le 3 juin, le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC) a publié sa liste annuelle des crises de déplacement les plus négligées. Neuf des dix premiers pays sont des pays africains contigus situés dans ou à proximité de la région du Sahel. Les déplacements se produisent à l’intérieur ou vers d’autres États touchés par une crise. Le rapport souligne que le monde s’est normalisé en ignorant les crises de déplacement prolongées. Les classements sont basés sur l’attention médiatique, le financement, les efforts politiques et diplomatiques par rapport au nombre de personnes dans le besoin.
Le rapport du NRC classe le Burkina Faso comme la crise de déplacement la plus négligée pour la deuxième année, avec deux millions de personnes déplacées et 36 000 réfugiés, dont 707 000 nouveaux déplacements en 2023. Les parties belligérantes créent des blocus qui piègent deux millions de personnes dans 39 villes et coupent les routes. les civils sont privés d’aide et d’information.
Le rapport cite le Soudan comme exemple des conséquences de plusieurs années de négligence. Il s’agit de l’une des situations d’urgence les plus aiguës actuelles, avec plus de 10 millions de personnes déplacées, soit 7,26 millions depuis avril 2023, lorsque la guerre a éclaté entre l’armée soudanaise et les forces de soutien rapide. Des atrocités de masse, notamment la torture, la violence sexuelle et le nettoyage ethnique, ont été documentées. Plus de 25 % des Soudanais ont été contraints de fuir ; plus de la moitié sont des enfants. Il s’agit de la pire catastrophe humanitaire de l’histoire récente, avec 18 millions de personnes souffrant de faim aiguë. Environ deux millions de personnes ont fui vers le Tchad et le Soudan du Sud voisins.
Le Tchad, classé 189e sur 193 selon l’indice de développement humain, a maintenu une politique généreuse d’ouverture des frontières tout en devenant l’une des plus grandes opérations de déplacement. Il accueille 1,3 million de réfugiés dont 550 000 Soudanais arrivés depuis avril 2023, ainsi que des réfugiés fuyant le Nigeria, le Cameroun, la République centrafricaine et le Cameroun. Quatre-vingt-dix pour cent sont des femmes ; 77% arrivent seuls avec des enfants.
Le HCR a dû suspendre la vérification biométrique et les évaluations de protection pour donner la priorité aux nouveaux arrivants en raison d’un déficit de financement. En décembre 2023, le Programme alimentaire mondial a réduit les rations pour les réfugiés et le gouvernement a déclaré l’état d’urgence pour la sécurité alimentaire, notamment en suspendant la distribution de l’aide à travers la frontière avec le Darfour.
En RDC, le sous-financement a entraîné une réduction de 79 % du nombre d’observateurs de protection documentant les violations des droits humains. L’opération ougandaise a interrompu les services de santé et les kits d’hygiène pour les femmes depuis 2022. Au Soudan du Sud, les kits de protection contre les inondations et l’amélioration des systèmes de drainage ont été annulés.
Les réfugiés disposent de trois options de solutions durables : rentrer chez eux, s’intégrer dans les communautés d’accueil ou se réinstaller dans des pays tiers. Dans de nombreux cas, les retours ne sont pas viables et il ne reste que l’intégration ou la réinstallation.
En 2023, 158 700 réfugiés se sont vu proposer une réinstallation dans des pays tiers, soit une augmentation significative par rapport à 2022 mais moins de 1 % de la population réfugiée totale. La réinstallation est réservée aux plus vulnérables – personnes âgées, enfants, personnes malades ou handicapées, ou survivants de violences ou d’abus. Le HCR estime que 2,9 millions de réfugiés auront besoin d’une réinstallation en 2025.
Le Kenya accueille actuellement 700 000 réfugiés, dont beaucoup sont venus de Somalie en 1991. Après des années de dépendance à l’égard de l’aide et de frustration croissante de la part des populations locales, le Kenya a promulgué la loi de 2021 sur les réfugiés. Il reconnaît la nature prolongée des conflits qui poussent les réfugiés vers le Kenya. Une fois mis en œuvre, il contribuera à l’intégration socio-économique des réfugiés en élargissant leurs droits de vivre, de travailler et d’accéder aux services financiers en dehors des camps. Un plus grand nombre de pays accueillant des réfugiés devraient envisager des approches similaires.
La Journée mondiale des réfugiés rappelle que l’Afrique et le monde ne peuvent pas maintenir pacifiquement ce rythme de déplacement. Le coût de la négligence des personnes déplacées et des crises qui les animent est trop élevé.
Rédigé par Aimée-Noël Mbiyozo, consultante principale en recherche, ISS.
Republié avec la permission de ISS Afrique. L’article original peut être trouvé ici.